Le Digital Fairness Act : un équilibre entre protection des consommateurs et croissance des entreprises

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La Commission européenne propose une nouvelle loi appelée Digital Fairness Act (DFA), visant à moderniser la protection des consommateurs à l’ère numérique. Bien que bien intentionné, l’impact du DFA sur la publicité et l’expérience utilisateur en ligne a suscité un débat houleux parmi les entreprises et les groupes de défense à travers l’Europe.

Fondamentalement, le DFA cherche à s’attaquer à quatre problèmes principaux : les pratiques commerciales déloyales motivées par des « modèles sombres » sur les sites Web, le marketing trompeur des influenceurs, les caractéristiques de conception addictives des produits numériques et les pratiques de personnalisation déloyales qui exploitent les données des consommateurs. La législation proposée touche à certains domaines sensibles, comme la définition de ce qui constitue une « conception addictive » et des « modèles sombres », laissant place à une interprétation large. Cette ambiguïté suscite des inquiétudes quant à une éventuelle portée excessive et à la capacité de la Commission à faire pression sur les entreprises par le biais d’interventions ponctuelles plutôt que de réglementations claires.

Un flot de commentaires :

Le processus de consultation publique sur le DFA a attiré un nombre record de 4 325 soumissions, largement alimentées par les inquiétudes des joueurs quant aux restrictions potentielles sur leurs expériences en ligne. Même si certains aspects du processus de consultation penchaient en faveur d’une réglementation plus stricte, il convient de noter que les critiques ne se limitaient pas aux groupes industriels technologiques ou aux entreprises étrangères.

Les associations professionnelles européennes représentant divers secteurs se sont généralement opposées au DFA, plaidant pour une concentration sur l’application des règles existantes plutôt que sur l’ajout de nouveaux niveaux de réglementation. Cette position est reprise par plusieurs entreprises européennes de premier plan, notamment la plateforme de livraison finlandaise Wolt, la compagnie aérienne irlandaise Ryanair, le marché de la mode lituanien Vinted, le géant suédois du streaming musical Spotify et bien d’autres. Ces entreprises préviennent qu’une réglementation excessive pourrait étouffer l’innovation et entraver la croissance, en particulier pour les petites entreprises déjà aux prises avec des réglementations existantes complexes telles que le RGPD, le DSA et le DMA.

Repenser l’approche :

Certains soutiennent que la Commission devrait adopter une approche plus ciblée, similaire aux récentes révisions du règlement général sur la protection des données (RGPD). Au lieu de remanier l’ensemble du cadre, les partisans de cette perspective suggèrent de se concentrer sur l’harmonisation de l’application dans tous les États membres et sur la simplification des exigences de déclaration pour les entreprises. Cela donnerait la priorité à la clarté et à la mise en œuvre pratique plutôt qu’à l’introduction de nouvelles réglementations de grande envergure qui pourraient nécessiter de futures révisions en raison de conséquences imprévues ou de chevauchements avec les règles existantes.

La propre évaluation de la Commission reconnaît que les consommateurs de l’UE bénéficient déjà d’une solide protection en ligne et hors ligne grâce à un ensemble complet de législations existantes. Toutefois, le véritable défi consiste à faire respecter ces règles existantes et à combler les écarts entre les États membres dans leur application. La résolution de ces problèmes pratiques devrait être une priorité avant d’ajouter un autre niveau de complexité grâce à une nouvelle législation comme le DFA.

Le puzzle économique :

Même si la Commission met en avant 7,9 milliards d’euros de préjudice financier potentiel pour les consommateurs en raison de problèmes en ligne, elle n’a pas suffisamment mis en balance ce chiffre avec les avantages économiques de la publicité personnalisée – un domaine clé ciblé par le DFAE. Des études montrent que la publicité personnalisée injecte chaque année au moins 100 milliards d’euros dans le chiffre d’affaires des entreprises de l’UE, contribue à hauteur de 25 milliards d’euros au PIB et soutient 600 000 emplois. Les petites et moyennes entreprises (PME) s’appuient largement sur cette forme de publicité pour atteindre efficacement leurs clients et rivaliser avec les grands acteurs, en particulier sur les petits marchés. Une interdiction de facto de la publicité personnalisée pourrait faire augmenter les coûts pour les entreprises, limiter leur clientèle et, à terme, nuire à la croissance économique.

** Préoccupations des consommateurs par rapport aux préférences pratiques :**

Les pressions en faveur de réglementations plus strictes en matière de confidentialité des données proviennent souvent du sentiment que les Européens ne sont pas à l’aise avec la manière dont leurs informations personnelles sont utilisées en ligne. Bien que ce sentiment soit compréhensible, il est essentiel de reconnaître que les consommateurs apprécient également la commodité et la pertinence. Des enquêtes montrent qu’une majorité significative d’Européens préfèrent voir des publicités personnalisées parce qu’elles sont plus utiles et adaptées à leurs intérêts. Cette apparente contradiction met en évidence la nécessité d’une approche nuancée qui équilibre les préoccupations en matière de confidentialité et les préférences pratiques des utilisateurs.

Le débat autour du Digital Fairness Act se résume à trouver le bon équilibre. S’il est essentiel de protéger les consommateurs contre les pratiques en ligne nuisibles, imposer des restrictions drastiques sur l’utilisation des données pourrait avoir des conséquences inattendues sur les entreprises, l’innovation et, en fin de compte, le choix des consommateurs. Pour parvenir à un résultat positif, il faudra examiner attentivement les deux côtés de l’équation : assurer une véritable protection des consommateurs sans étouffer l’économie numérique.